Créer un tableau de bord pour des utilisateurs non-techniques n'est pas juste une question d'esthétique : c'est une discipline où l'ergonomie, la sélection des données et la pédagogie se rencontrent. J'ai passé des années à construire et à revoir des dashboards pour des équipes marketing, produit et direction qui ne veulent pas (et ne doivent pas) s'enfoncer dans des filtres SQL. Voici comment j'aborde ce travail, étape par étape, avec des conseils concrets que vous pouvez appliquer dès aujourd'hui.

Comprendre qui utilisera le dashboard

Avant d'ouvrir un outil comme Looker, Tableau, Metabase ou Google Data Studio, je commence toujours par des conversations. Qui consultera ce dashboard ? À quelle fréquence ? Quelles décisions doivent être prises après consultation ? Souvent, poser ces questions révèle que deux personnes seulement ont réellement besoin de vues très détaillées, tandis que la majorité souhaite des indicateurs synthétiques et des actions claires.

Je note systématiquement :

  • Le profil utilisateur : marketing junior, responsable produit, CEO.
  • La fréquence d'usage : quotidien, hebdomadaire, mensuel.
  • Les décisions attendues : augmenter budget pub, prioriser features, alerter ops.

Choisir les bons KPIs (et en limiter le nombre)

La tentation est grande d'afficher tout ce qu'on peut mesurer. Mon expérience montre que moins, mais pertinent l'emporte toujours. Pour un public non-technique, je me fixe une règle : au premier écran, max 5 KPIs clairement libellés. Ces KPIs doivent être liés à une action ou une décision.

Exemple de structure simple :

KPIPourquoiAction
Taux de conversionIndique l'efficacité du funnelTester landing / CTA
Coût par acquisition (CPA)Budget marketingRéallouer budget
Sessions activesTrafic globalVérifier campagnes

Langage et labels : parler le même langage que vos utilisateurs

J'évite les abréviations techniques et les termes internes. Au lieu de “MAU”, j'écris “Utilisateurs actifs mensuels”. Au lieu de “ARPU”, j'explique brièvement « revenu moyen par utilisateur ». Si un terme doit rester technique, je fournis une infobulle ou une petite aide contextuelle (tooltip).

Les titres doivent décrire l'action attendue plutôt que la métrique brute. Par exemple : “Trafic total — Besoin d'augmenter les canaux payants ?” Cela positionne le KPI dans un contexte décisionnel.

Visualisations : choisir la simplicité

Pour des non-techniques, la clarté prime sur la sophistication. Voici mes choix préférés :

  • Cartes de valeur (big numbers) pour KPIs principaux.
  • Graphiques en courbe pour les tendances temporelles.
  • Barres horizontales pour comparer catégories.
  • Petits tableaux pour détails actionnables avec possibilité d'export CSV.

J'évite les graphiques 3D, les radar charts et tout ce qui demande une lecture experte. Les couleurs doivent respecter l'accessibilité (contraste suffisant) et être cohérentes : vert pour bon, rouge pour alerte, gris pour neutre. Dans les outils comme Tableau ou Data Studio, je configure des palettes globales pour garantir cette cohérence.

Contextualiser les chiffres

Un chiffre isolé ne signifie rien. Ajouter un contexte change tout : comparaison week-on-week, vs objectif, ou vs période précédente. J'aime afficher trois éléments à la fois pour chaque KPI :

  • La valeur actuelle (big number).
  • La variation (%) par rapport à la période précédente.
  • Un indicateur de statut (pastille colorée) : on-track / attention / action requise.

Quand c'est pertinent, j'ajoute un court commentaire écrit sous la métrique : “Baisse liée à fin de campagne X”. Ces micro-interprétations évitent que l'utilisateur fasse des hypothèses erronées.

Interactions et filtres : rendre l'exploration simple

Les utilisateurs non-techniques aiment la simplicité. Je limite les filtres visibles et propose des filtres présélectionnés pour les cas d'usage courants (par exemple, “Période : 30 derniers jours”, “Segment : utilisateurs payants”). Les filtres avancés sont disponibles dans une section secondaire pour les utilisateurs plus curieux.

Quelques bonnes pratiques :

  • Fournir un filtre “Tout” par défaut quand on ne sait pas quoi choisir.
  • Utiliser des listes déroulantes plutôt que des inputs libres pour éviter les fautes de frappe.
  • Proposer des boutons d'action rapides : “Télécharger CSV”, “Envoyer par email”.

Onboarding et aides intégrées

Un bon dashboard prévoit un petit parcours d'onboarding : 2 ou 3 bulles qui expliquent où trouver les KPIs, comment changer la période et comment interpréter les pastilles de statut. J'ajoute aussi une section “Comment lire ce dashboard” accessible via un bouton d'aide.

Pour des équipes larges, je crée une petite fiche PDF ou une vidéo de 90 secondes que je place dans le tableau de bord ou sur l'intranet. Cela réduit les questions basiques et augmente l'adoption.

Erreurs courantes à éviter

  • Afficher trop de données sur le premier écran — l'utilisateur doit pouvoir répondre à sa question en 10 secondes.
  • Ne pas expliquer la source des données — sans transparence, les chiffres sont suspectés.
  • Ajouter des visualisations “jolies” mais non signifiantes — privilégiez l'information utile.
  • Oublier la performance : un dashboard lent décourage l'usage. Je surveille toujours le temps de requête et je mets en cache les vues lourdes.

Mesurer l'usage et itérer

Un dashboard n'est pas figé. J'instaure des métriques d'usage : qui consulte, quelles vues sont les plus populaires, combien de temps passé. Ces données m'indiquent ce qui fonctionne ou non. Parfois, je retire une viste entière si personne ne l'utilise ou je fractionne une vue trop dense en deux écrans plus ciblés.

Je planifie une revue trimestrielle avec les utilisateurs clés pour ajuster KPIs et filtres. Les retours qualitatifs (entretiens rapides) sont souvent plus riches que les analytics eux-mêmes.

Outils et intégrations pratiques

Selon le contexte, j'ai mes préférences :

  • Google Data Studio : excellent pour des dashboards simples et partageables, intégré à Google Sheets/Analytics.
  • Metabase : super pour des équipes qui veulent une solution open-source, avec des questions faciles à construire.
  • Looker/Tableau : pour les environnements plus exigeants en gouvernance des données et transformation (Looker) ou en visualisations riches (Tableau).
  • Heap / Mixpanel : quand on a besoin d'analyses produit orientées utilisateur sans instrumenter trop de tracking custom.

Quel que soit l'outil, je m'assure que les sources de données sont documentées (qui est la propriété, fréquence d'actualisation, transformations appliquées). Cela évite le fameux “les chiffres ne sont pas synchronisés” en réunion.

Accessibilité et design inclusif

Penser aux non-techniques, c'est aussi penser à tous les utilisateurs : contraste élevé, tailles de police suffisantes, descriptions alternatives pour les exports PDF ou images. J'utilise des palettes testées pour daltoniens et je veille à ce que la navigation soit possible au clavier.

Ces petits efforts améliorent l'adoption et montrent un souci du détail qui renforce la confiance dans les données présentées.

Exemples de micro-workflows pour actions

Plutôt que de laisser le tableau de bord statique, j'intègre des micro-workflows : par exemple un bouton “Créer une alerte” qui envoie un email quand le CPA dépasse un seuil, ou un bouton “Signaler à l'équipe” qui ouvre un ticket Slack/Teams avec le contexte. Ces raccourcis rapprochent les insights de l'action concrète.

En adoptant cette approche — comprendre l'audience, limiter et contextualiser les KPIs, simplifier les visualisations, prévoir un onboarding et itérer — on transforme un simple rapport en un outil décisionnel puissant. Les non-techniques n'ont pas besoin de tout comprendre du pipeline de données ; ils ont besoin de données qu'ils peuvent lire, interpréter et utiliser vite.