Avant de lancer une refonte produit, j'ai pris l'habitude de faire une évaluation rapide et pragmatique de la dette technique. Pourquoi ? Parce que la dette technique n'est pas seulement un nombre de tickets Jira : c'est un risque sur la roadmap, un frein à l'itération et parfois une bombe à retardement sur les coûts. Voici la méthode que j'utilise pour obtenir en quelques jours (ou même en quelques heures pour une première estimation) une vue actionnable et partagée avec les équipes produit, design et développement.
Préparer le terrain : qui, quoi et combien de temps
Pour que l'évaluation soit efficace, je définis d'abord trois choses simples :
- Qui participe : généralement un ou deux développeurs connaissant le code, un lead technique (ou CTO), et un PM. Si possible, j'invite une personne produit et un designer pour évaluer l'impact fonctionnel.
- Quoi évaluer : codebase front-end, back-end, infra (CI/CD, hébergement), dépendances, tests, documentation, données et observabilité.
- Temps alloué : idéalement une journée pour une première évaluation complète, ou 2–3 heures pour une "sanity check" rapide.
La contrainte temporelle est volontaire : elle force à prioriser les zones à plus fort impact et à éviter l'analyse-paralysie.
Méthode en 6 étapes
Je suis une séquence structurée, rapide à appliquer et facile à communiquer :
- 1. Discovery rapide : parcourir la README, les pipelines CI, les issues ouvertes, et les principaux endpoints. L'objectif : repérer les zones chaudes.
- 2. Mesures automatisées : lancer des outils qui donnent des métriques objectives.
- 3. Score technique : appliquer une grille de notation sur des dimensions clés.
- 4. Mapping risques/valeur : croiser le score technique avec l'impact produit.
- 5. Quick wins : dégager 3 à 5 actions court terme (1–5 jours).
- 6. Roadmap d'atténuation : proposer un plan en sprints pour réduire la dette priorisée.
Quels outils j'utilise pour gagner du temps
Les outils automatisés me donnent un premier niveau d'information que je complète par des lectures manuelles. Voici ceux que je recommande :
- SonarQube pour la qualité du code et la dette technique estimée.
- Lighthouse pour les performances front-end et l'accessibilité.
- Snyk ou Dependabot pour les vulnérabilités et dépendances obsolètes.
- CodeQL / outils d'analyse statique pour trouver des patterns dangereux.
- Cypress / Playwright pour évaluer l'existence et la santé des tests E2E.
- Logs / APM (New Relic, Datadog) pour mesurer la fiabilité et les erreurs en production.
Souvent, une combinaison SonarQube + Lighthouse + Snyk suffit pour dresser un portrait fiable en 1–2 heures sur la partie "observables".
La grille de notation que j'applique
Pour rendre l'évaluation concrète et comparable, je note chaque dimension sur 1 à 5 (5 = grave). Les dimensions :
- Complexité du code (spaghetti, couplage)
- Test coverage
- Stabilité / erreurs en production
- Dépendances et vulnérabilités
- CI/CD et déploiement
- Documentation & onboarding
- Observabilité (logs, métriques, tracing)
- Dette UX/Front (CSS legacy, composants non réutilisables)
Voici un exemple de tableau synthétique que j'utilise pour partager le résultat.
| Dimension | Score (1-5) | Commentaire court |
|---|---|---|
| Complexité du code | 4 | Code fortement couplé entre modules, peu de frontières claires |
| Test coverage | 2 | Unitaires présents mais pas d'E2E |
| Stabilité | 3 | Erreurs fréquentes après déploiement majeur |
| Dépendances | 4 | Plusieurs packages obsolètes et vulnérables |
| CI/CD | 3 | Pipeline lent, pas de rollback automatisé |
| Documentation | 2 | README minimal, pas de guide de dev |
| Observabilité | 4 | Pas de tracing distribué, logs peu structurés |
| Dette UX/Front | 3 | Composants duplicés et styles inline |
Prioriser : croiser risque technique et valeur produit
Un score élevé ne signifie pas forcément une priorité haute. Je croise toujours la gravité technique avec l'impact produit :
- Haute dette + fort impact produit = priorité immédiate (bloquant refonte)
- Haute dette + faible impact produit = planifier, mais pas forcément bloquant
- Faible dette + fort impact produit = focus produit (pas besoin de refactor lourd)
Ce croisement permet d'orienter la refonte : corriger d'abord ce qui empêche la vélocité ou pose des risques de sécurité/fiabilité.
Exemples d'actions rapides (quick wins)
Lors d'une de mes évaluations, j'ai dégagé ces actions à moins d'une semaine qui ont fortement réduit le risque :
- Automatiser les scans Snyk et fail the build en cas de vulnérabilité critique.
- Ajouter 10 tests E2E couvrant les parcours principaux (login, checkout, profil).
- Mettre en place un job lint/format et corriger les avertissements bloquants.
- Documenter le processus de déploiement et le rollback dans la README.
- Remplacer une dépendance obsolète par une alternative maintenue.
Ces petites victoires renforcent la confiance et réduisent la surface de risque avant d'entamer des refactors plus lourds.
Comment présenter les résultats à l'équipe et aux parties prenantes
Je privilégie la transparence et le concret :
- Un résumé visuel (tableau + heatmap) montrant où se concentrent les risques.
- Une feuille de route en 3 axes : court terme (quick wins), moyen terme (sprints), long terme (refactor majeur).
- Estimation de l'effort en jours-homme et bénéfices attendus (vélocité, sécurité, coût opérationnel).
J'évite le jargon : je traduis toujours la dette technique en conséquences produit (ex : "diminution du taux de déploiement, risque d'incident lors de refactor", "augmentation du coût de la feature X").
Pièges à éviter
- Ne pas confondre perfection et progrès : une dette technique sera toujours présente, l'objectif est de la maîtriser.
- Éviter la liste infinie de tâches non priorisées : tout doit être lié à un risque ou une valeur produit.
- Ne pas ignorer l'expérience des développeurs : leur sentiment sur la maintenabilité est un indicateur précieux.
Si vous souhaitez, je peux partager une checklist prête à l'emploi (format Markdown ou checklist pour Notion) ou un template de tableau pour évaluer automatiquement les scores. Dites-moi vos outils actuels (Stack, CI, taille de l'équipe) et j'adapte la méthode à votre contexte.